[Confédération][3] Semper et Ubique
Par : Gregor
Genre : Science-Fiction , Action
Status : C'est compliqué
Note :
Chapitre 28
Publié le 12/11/14 à 09:54:02 par Gregor
La nuit approchait lorsque la masse des Nobles Clercs, des soldats et des officiers remonta en ordre serré vers la cohorte des navettes qui patientait sur la crête dentelée de la doline. Le service funèbre s'était achevé sur les notes vibrantes du chœur d'officiers qui louaient le Dieu-Machine, et lui demandait de bénir le convoi qui s’apprêtait à rejoindre la Terre.
Guillhem ne souriait pas. La cérémonie avait assourdi en lui une part de son cynisme, pour un temps au moins. Il se contentait de suivre Flinn, qui discutait tranquillement avec le major Beik. Parfois, un Noble Clerc venait se joindre au petit groupe, adressant ses remerciements à l'orateur. « Toute la Sainte Cléricature peut être fière de vous compter dans ses rangs, monseigneur », avait osé un jeune adepte. Ce à quoi avait répondu le vénérable homme par une phrase fort courtoise « Et pourtant, c'est bien moi qui ai besoin de la Sainte Docte pour me guider dans les tourments que nous traversons ». Guillhem avait suivi la scène avec une certaine curiosité. Puis à nouveau, Flinn brisa la glace de sa voix de stentor.
— Cyrill, j'espère que vous excuserez mes approximations sur certains passages.
— Je te l'ai déjà dit Flinn, tu es tout excusé. Je n'aurais pas su faire mieux. Bien au contraire, je pense que tu as même mieux suivi mes consignes que si j'avais dû le faire seul. Tu as su utiliser la corde sensible des souvenirs avec tact, et ta conclusion sur la nécessité de nous rassembler malgré les tensions actuelles était une idée brillante.
— Hélas, je ne suis pas convaincu de son utilité.
Cyrill ne put esquisser un sourire.
— Alors la situation ne t'a pas échappé ?
— La Sainte Cléricature considère avec une certaine méfiance la création du Saint Ordre des licteurs.
— Pas toute la Sainte Cléricature, corrigea Cyrill. Seulement les factions les plus fanatiques. Il y a trente ans, j'aurais réagi de la même façon. Mais à quoi bon ? Les cas d'hérésie se font de plus en plus rares, et la Question ne revêt plus un intérêt aussi vital que par le passé.
Il baissa d'un ton, sa voix se réduisant à un filet suave.
— Sans la mésaventure à bord du Keller Lumen, il se serait écoulé près de trois ans sans que je n'exerce ma fonction première de Noble Clerc. Dénicher le mal purulent de l'hérésie justifiait de lourds moyens auparavant, mais contre une dizaine de cas annuels, maintenir un effectif aussi important de Noble Clerc à cette tâche relève de l'entêtement. La Confédération est en paix, et le peuple a fini par prendre fait et cause pour le Culte Mécaniste. Sans nos rôles de missionnaires et de docteurs de la Foi, nous ne serions plus que de vieux croûtons suspectant le mal là où il n'est pas. Ne va pas croire que je me suis empâté, Flinn, mon esprit sait seulement mieux faire le tri entre ce qui relève du blasphème et ce qui est une interprétation plus personnelle et plus appropriée de Sa voix.
— Vous me surprenez de jour en jour, concéda Flinn.
— Il faut bien que les anciens se retirent dans la sagesse.
— Dois-je en déduire que vous supportez le projet du Commandus Magnus ?
— Sans adhérer à toutes ses implications, je dois concéder que l'idée est excellente. Concilier les forces spirituelles et l'élite de nos armées pourrait bien régler le problème actuel.
— La Sainte Cléricature ne fléchira pas face à un tel élan de modernité.
— Modernité ou pragmatisme, Flinn ?
Le Naneyë haussa les épaules.
— Réfléchis-y. Le temps du retour t'y aidera.
Une réunion regroupant les plus hauts responsables de la Sainte Cléricature fut programmée dans l'heure suivant l'arrivée de Cyrill dans le croiseur spatial. Il en prit acte, indiquant qu'il y assisterait. En tant que détenteur du pouvoir du Commandus Magnus et des co-légats, il présiderait l'assemblée du jour, qui consisterait en un retour sur la cérémonie.
Le Très Saint Magister Siegfried s'était éclipsé à la fin de la cérémonie, tenue par des obligations sur Rigel Cinq. Il avait donné sa bénédiction à la Sainte Cléricature après avoir sanctifié et pris acte de l'engagement de cinq apprentis accompagnés de leur tuteur, dans le lieu symbolique du tombeau désert. Cyrill avait observé d'un œil froid le cérémonial qui avait fait des jeunes hommes des dépositaires de la Sainte Docte. Il s'était questionné sur la nécessité d'une telle action, et la petite discussion qu'il avait eue avec Flinn une trentaine de minutes plus tard avait confirmé son raisonnement. La Sainte Cléricature avait ignoré les bulles doctrinales récemment confirmées par le Commandus Magnus Mac Mordan, qui invitait à réfléchir sur le nombre d'aspirants qui seraient investis cette année encore. Une fin de non-recevoir vis-à-vis de la création du Saint Ordre des Licteurs, qui était vécu comme un véritable affront. Cyrill craignait que l'absence de son supérieur spirituel n'aggrave la situation qui se tendait subtilement entre la Sainte Cléricature et son plus haut dignitaire. Le point de rupture n'était pas établi, mais il craignait que la fronde n'aboutisse à d'autres effets beaucoup plus catastrophiques qu'une simple lutte d'influence. Le poids de la Sainte Cléricature sur la société marquait depuis des décennies la vie sociale de la Confédération. Derrière chaque acte politique majeur, sa trace se faisait sentir. Un temps durant, il s'en était largement félicité. Mais à présent, il ne pouvait que constater les risques tangibles d'une telle activité. Et lorsqu'il se présenta auprès de ses confrères, ses craintes se confirmèrent.
Le Commandant Inquisiteur Jusiewicz, accompagné de Noble Clerc Korvacz et du Noble Clerc Weldan se tenait déjà assis autour de la lourde table noire en ébène. Cyrill entra en dernier, salué brièvement inclinaison de tête discrète. S'il était le plus petit grade parmi ceux présents, sa nomination à la tête de la mission menée par la Sainte Cléricature n'avait posé aucun problème majeur. C'était un héros de la Foi, un martyr vivant qui servait d'exemple et suscitait encore nombre de vocations. Si sa verve se faisait plus douce que par le passé, son argumentaire et son engagement spirituel restaient bien plus présents que jamais.
— Messeigneurs, entama Cyrill.
— Noble Clerc Major Beik , reprirent les trois hommes.
— Je pense que nous pouvons démarrer la séance.
Il était le seul cyborg de l'assemblée. Aucun autre que lui n'avait vu l'hérésie le marquer dans sa chair si profondément, et il était l'objet de regards curieux, malgré sa notoriété. On disait que l’œuvre du Dieu-Machine s'était incarnée dans l'un de ses plus fervents prédicateurs, et qu'il le porterait encore longtemps. Cyrill n'avait cure de ces bruits de couloirs, qui le servaient bien malgré eux. Mais compte tenu de cette situation, il assurerait également un compte-rendu holo de la réunion. Son regard artificiel semait parfois le trouble.
— Nous notons l'absence du Commandus Magnus, poursuivit Weldan avec une note acide dans sa voix chaude. Noble Clerc Major, nous avons cru comprendre que notre supérieur vous a personnellement remis une note d'excuse.
— En effet, répondit Cyrill sans se défaire. Le Commandus Magnus Mac Mordan n'a pu assurer ses obligations spirituelles en regard de la situation exceptionnelle qui l'occupe. Il a néanmoins observé de longues et salutaires prières pour le Très Saint Magister Oddarick, et j'ai moi-même déposé une longue lettre écrite de sa main sur le sanctuaire.
— L'avez-vous ouverte, Noble Clerc Major ?
— Est-ce une mauvaise blague, Noble Clerc Korvacz ? enchaîna sèchement Cyrill. Douteriez-vous de la foi du Commandus Magnus ?
— Absolument pas, Noble Clerc Major. Mais en sachant que vous avez toute sa confiance, je me demandais…
— Les querelles ne devraient pas avoir cours entre nous, messeigneurs. Souvenons-nous de notre serment et de nos engagements.
— Excusez mon indiscrétion, s'excusa l’intéressé, sans se départir d'un sourire en coin.
— Puisse le Dieu-Machine vous pardonner votre outrecuidance, s'empourpra Beik. Je conçois que la situation soit délicate et je suis bien au fait des courants qui agitent en ce moment la Sainte Cléricature. Mais je m'attendais à un peu plus de civisme dans nos rangs. Quel exemple donnons-nous à nos jeunes recrues ? Nous ne faisons que salir le nom du Très Saint Magister Oddarick par des actions aussi déplorables.
— À qui la faute, Noble Clerc Major ? tança Jusiewicz.
— L’heure n'est pas à cela, mon commandant, gronda l’intéressé. Si vous le voulez bien, reprenons les motifs de notre réunion.
— La chair est faible, susurra Jusiewicz.
Cyrill fit mine de n'avoir rien entendu. La situation s'annonçait bien plus explosive qu'il ne l'avait escompté. Le retour serait long.
Guillhem ne souriait pas. La cérémonie avait assourdi en lui une part de son cynisme, pour un temps au moins. Il se contentait de suivre Flinn, qui discutait tranquillement avec le major Beik. Parfois, un Noble Clerc venait se joindre au petit groupe, adressant ses remerciements à l'orateur. « Toute la Sainte Cléricature peut être fière de vous compter dans ses rangs, monseigneur », avait osé un jeune adepte. Ce à quoi avait répondu le vénérable homme par une phrase fort courtoise « Et pourtant, c'est bien moi qui ai besoin de la Sainte Docte pour me guider dans les tourments que nous traversons ». Guillhem avait suivi la scène avec une certaine curiosité. Puis à nouveau, Flinn brisa la glace de sa voix de stentor.
— Cyrill, j'espère que vous excuserez mes approximations sur certains passages.
— Je te l'ai déjà dit Flinn, tu es tout excusé. Je n'aurais pas su faire mieux. Bien au contraire, je pense que tu as même mieux suivi mes consignes que si j'avais dû le faire seul. Tu as su utiliser la corde sensible des souvenirs avec tact, et ta conclusion sur la nécessité de nous rassembler malgré les tensions actuelles était une idée brillante.
— Hélas, je ne suis pas convaincu de son utilité.
Cyrill ne put esquisser un sourire.
— Alors la situation ne t'a pas échappé ?
— La Sainte Cléricature considère avec une certaine méfiance la création du Saint Ordre des licteurs.
— Pas toute la Sainte Cléricature, corrigea Cyrill. Seulement les factions les plus fanatiques. Il y a trente ans, j'aurais réagi de la même façon. Mais à quoi bon ? Les cas d'hérésie se font de plus en plus rares, et la Question ne revêt plus un intérêt aussi vital que par le passé.
Il baissa d'un ton, sa voix se réduisant à un filet suave.
— Sans la mésaventure à bord du Keller Lumen, il se serait écoulé près de trois ans sans que je n'exerce ma fonction première de Noble Clerc. Dénicher le mal purulent de l'hérésie justifiait de lourds moyens auparavant, mais contre une dizaine de cas annuels, maintenir un effectif aussi important de Noble Clerc à cette tâche relève de l'entêtement. La Confédération est en paix, et le peuple a fini par prendre fait et cause pour le Culte Mécaniste. Sans nos rôles de missionnaires et de docteurs de la Foi, nous ne serions plus que de vieux croûtons suspectant le mal là où il n'est pas. Ne va pas croire que je me suis empâté, Flinn, mon esprit sait seulement mieux faire le tri entre ce qui relève du blasphème et ce qui est une interprétation plus personnelle et plus appropriée de Sa voix.
— Vous me surprenez de jour en jour, concéda Flinn.
— Il faut bien que les anciens se retirent dans la sagesse.
— Dois-je en déduire que vous supportez le projet du Commandus Magnus ?
— Sans adhérer à toutes ses implications, je dois concéder que l'idée est excellente. Concilier les forces spirituelles et l'élite de nos armées pourrait bien régler le problème actuel.
— La Sainte Cléricature ne fléchira pas face à un tel élan de modernité.
— Modernité ou pragmatisme, Flinn ?
Le Naneyë haussa les épaules.
— Réfléchis-y. Le temps du retour t'y aidera.
Une réunion regroupant les plus hauts responsables de la Sainte Cléricature fut programmée dans l'heure suivant l'arrivée de Cyrill dans le croiseur spatial. Il en prit acte, indiquant qu'il y assisterait. En tant que détenteur du pouvoir du Commandus Magnus et des co-légats, il présiderait l'assemblée du jour, qui consisterait en un retour sur la cérémonie.
Le Très Saint Magister Siegfried s'était éclipsé à la fin de la cérémonie, tenue par des obligations sur Rigel Cinq. Il avait donné sa bénédiction à la Sainte Cléricature après avoir sanctifié et pris acte de l'engagement de cinq apprentis accompagnés de leur tuteur, dans le lieu symbolique du tombeau désert. Cyrill avait observé d'un œil froid le cérémonial qui avait fait des jeunes hommes des dépositaires de la Sainte Docte. Il s'était questionné sur la nécessité d'une telle action, et la petite discussion qu'il avait eue avec Flinn une trentaine de minutes plus tard avait confirmé son raisonnement. La Sainte Cléricature avait ignoré les bulles doctrinales récemment confirmées par le Commandus Magnus Mac Mordan, qui invitait à réfléchir sur le nombre d'aspirants qui seraient investis cette année encore. Une fin de non-recevoir vis-à-vis de la création du Saint Ordre des Licteurs, qui était vécu comme un véritable affront. Cyrill craignait que l'absence de son supérieur spirituel n'aggrave la situation qui se tendait subtilement entre la Sainte Cléricature et son plus haut dignitaire. Le point de rupture n'était pas établi, mais il craignait que la fronde n'aboutisse à d'autres effets beaucoup plus catastrophiques qu'une simple lutte d'influence. Le poids de la Sainte Cléricature sur la société marquait depuis des décennies la vie sociale de la Confédération. Derrière chaque acte politique majeur, sa trace se faisait sentir. Un temps durant, il s'en était largement félicité. Mais à présent, il ne pouvait que constater les risques tangibles d'une telle activité. Et lorsqu'il se présenta auprès de ses confrères, ses craintes se confirmèrent.
Le Commandant Inquisiteur Jusiewicz, accompagné de Noble Clerc Korvacz et du Noble Clerc Weldan se tenait déjà assis autour de la lourde table noire en ébène. Cyrill entra en dernier, salué brièvement inclinaison de tête discrète. S'il était le plus petit grade parmi ceux présents, sa nomination à la tête de la mission menée par la Sainte Cléricature n'avait posé aucun problème majeur. C'était un héros de la Foi, un martyr vivant qui servait d'exemple et suscitait encore nombre de vocations. Si sa verve se faisait plus douce que par le passé, son argumentaire et son engagement spirituel restaient bien plus présents que jamais.
— Messeigneurs, entama Cyrill.
— Noble Clerc Major Beik , reprirent les trois hommes.
— Je pense que nous pouvons démarrer la séance.
Il était le seul cyborg de l'assemblée. Aucun autre que lui n'avait vu l'hérésie le marquer dans sa chair si profondément, et il était l'objet de regards curieux, malgré sa notoriété. On disait que l’œuvre du Dieu-Machine s'était incarnée dans l'un de ses plus fervents prédicateurs, et qu'il le porterait encore longtemps. Cyrill n'avait cure de ces bruits de couloirs, qui le servaient bien malgré eux. Mais compte tenu de cette situation, il assurerait également un compte-rendu holo de la réunion. Son regard artificiel semait parfois le trouble.
— Nous notons l'absence du Commandus Magnus, poursuivit Weldan avec une note acide dans sa voix chaude. Noble Clerc Major, nous avons cru comprendre que notre supérieur vous a personnellement remis une note d'excuse.
— En effet, répondit Cyrill sans se défaire. Le Commandus Magnus Mac Mordan n'a pu assurer ses obligations spirituelles en regard de la situation exceptionnelle qui l'occupe. Il a néanmoins observé de longues et salutaires prières pour le Très Saint Magister Oddarick, et j'ai moi-même déposé une longue lettre écrite de sa main sur le sanctuaire.
— L'avez-vous ouverte, Noble Clerc Major ?
— Est-ce une mauvaise blague, Noble Clerc Korvacz ? enchaîna sèchement Cyrill. Douteriez-vous de la foi du Commandus Magnus ?
— Absolument pas, Noble Clerc Major. Mais en sachant que vous avez toute sa confiance, je me demandais…
— Les querelles ne devraient pas avoir cours entre nous, messeigneurs. Souvenons-nous de notre serment et de nos engagements.
— Excusez mon indiscrétion, s'excusa l’intéressé, sans se départir d'un sourire en coin.
— Puisse le Dieu-Machine vous pardonner votre outrecuidance, s'empourpra Beik. Je conçois que la situation soit délicate et je suis bien au fait des courants qui agitent en ce moment la Sainte Cléricature. Mais je m'attendais à un peu plus de civisme dans nos rangs. Quel exemple donnons-nous à nos jeunes recrues ? Nous ne faisons que salir le nom du Très Saint Magister Oddarick par des actions aussi déplorables.
— À qui la faute, Noble Clerc Major ? tança Jusiewicz.
— L’heure n'est pas à cela, mon commandant, gronda l’intéressé. Si vous le voulez bien, reprenons les motifs de notre réunion.
— La chair est faible, susurra Jusiewicz.
Cyrill fit mine de n'avoir rien entendu. La situation s'annonçait bien plus explosive qu'il ne l'avait escompté. Le retour serait long.
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